A Lille et Roubaix, Veolia transforme les déchets ménagers en énergie pour chauffer les habitants

Fini le charbon ! A l’issue d’un chantier titanesque de trois ans, les habitants de la Métropole européenne de Lille sont désormais chauffés grâce à l’énergie renouvelable produite par l’incinération de leurs déchets. La chaleur circule à travers un réseau urbain souterrain de 20 km permettant d’alimenter l’équivalent de 35 000 foyers. Une énergie doublement durable puisque cette « Autoroute de la chaleur » a permis de fermer l’ancienne centrale thermique qui utilisait jusque-là un charbon en provenance de Colombie. Découverte d’un projet audacieux d’économie circulaire locale aux enjeux et bénéfices multiples.

 

La transformation écologique, il y a ceux qui en parlent, et ceux qui la font. Engagée dans un ambitieux Plan Climat Air Énergies Territorial, la Métropole européenne de Lille (MEL), composée de 95 communes, a sollicité Veolia pour « verdir » son mix énergétique et étendre les réseaux de chaleur urbains existants. « L’enjeu de cette démarche était triple, explique Aurélie Lapidus, Directrice de la région Recyclage et Valorisation des Déchets en Hauts-de-France : diminuer les quantités de déchets ultimes, stopper l’utilisation du charbon et, enfin, favoriser une économie circulaire locale, à un prix compétitif pour les usagers. Pour y parvenir, Veolia s’est appuyé sur le centre de valorisation énergétique (CVE) d’Halluin. Appartenant à la MEL et exploité par le groupe, il produisait déjà de l’électricité à partir des ordures ménagères des habitants. Dès lors, pourquoi ne pas le modifier pour qu’il puisse aussi produire de la chaleur ? »

 

Le CVE, clé de voûte de l’Autoroute de la chaleur

Le schéma théorique est assez simple. Comme dans une maison, le chauffage fonctionne en boucle fermée : l’eau chaude part du CVE, qui fait office de chaudière, et y revient. Le réseau de transport, en traversant dix communes sur vingt kilomètres, l’un des plus longs et puissants d’Europe, joue le rôle des tuyaux qui acheminent la chaleur ; Enfin, les villes de Lille et Roubaix bénéficient de cette chaleur via de gros échangeurs qui font office de radiateurs.

 

Une boucle d’économie circulaire 

« Avec ce projet gigantesque, ce sont 7 000 m3 d’eau chauffée à 119°C qui circulent sous pression (29 bars) en partance d’Halluin, détaille Patrick Hasbroucq, directeur des Unités industrielles à la DR Hauts-de-France. Au bout de 5 heures et 45 minutes, et après avoir chauffé près de 35 000 équivalents-logements, cette eau revient au CVE à 78°C, avant de se réchauffer et de repartir vers Lille et Roubaix. La puissance du CVE va permettre de livrer, chaque année, 270 GWh d’énergie thermique pour ces 35 000 logements, et 91 GWh d’énergie électrique, soit l’équivalent de la consommation de 20 000 logements. » La boucle d’économie circulaire est bouclée : 1,2 million d’habitants sur la métropole génèrent chaque année 350 000 tonnes de déchets résiduels qui sont ensuite incinérés pour se transformer en chaleur et en électricité. Le déchet devient une ressource.

 

Répondre aux enjeux du territoire

Une fois l’accord de la MEL obtenu, la phase d’étude préparatoire a pu commencer, puis, en juin 2018, les travaux de construction (lire encadré). L’investissement global s’élève à 65 millions d’euros (44 pour le CVE et la création du réseau de transport, 25 pour les travaux d’adaptation des réseaux existants). Depuis le 8 février dernier, et après quatre mois de mise au point industrielle, l’Autoroute de la chaleur est en marche. Et ses bénéfices sont multiples. « Côté MEL, elle répond aux enjeux du territoire et contribue à accélérer sa transition énergétique, poursuit Aurélie Lapidus. La part des énergies renouvelables dans son mix énergétique augmente, avec 70% pour les réseaux de chaleur contre 20% jusque-là. Mécaniquement, le taux d’énergie fossile baisse de 10% permettant d’économiser 5 millions d’euros en achat de gaz et de charbon. Mieux, la MEL retrouve une pleine et entière souveraineté énergétique puisqu’elle n’a plus à se procurer ce charbon en Colombie. Ce bilan écologique particulièrement vertueux est encore renforcé par la réduction drastique des émissions de CO2 : le rejet de 50 000 tonnes sera ainsi évité chaque année ».

 

Une énergie renouvelable à un coût maîtrisé

Les bénéfices sont importants également pour les habitants de la métropole. La qualité de l’air va s’améliorer grâce à la fin du recours au charbon, vecteur de particules fines. Par ailleurs, sur le plan financier, les Lillois et les Roubaisiens vont profiter d’une énergie vertueuse à un prix très compétitif : la part d’énergie renouvelable étant supérieure à 65%, le taux de TVA de leur consommation d’énergie va baisser de 20 à 5,5%. En outre, les prix seront beaucoup plus stables puisqu’ils ne seront plus soumis aux fluctuations du cours du charbon et dans une moindre mesure à l’énergie gaz.

 

Un projet d’avenir

Aujourd’hui, la configuration initiale de l’Autoroute de la chaleur est arrivée à son terme. « Une seconde phase est cependant à l’étude, complète Patrick Hasbroucq : alimenter d’autres villes en chaleur en connectant différents réseaux, comme à Tourcoing, La Madeleine, puis Roncq et Marcq-en-Baroeul. » De son côté, l’autoroute de la chaleur est prête. Elle a été conçue, dès le début, pour transporter  40% d’énergie supplémentaire à partir des déchets, pour agrandir, s’il le fallait, cette boucle d’économie circulaire aussi locale et courte que vertueuse.  

A terme, le développement de réseaux de chaleur urbains et/ou industriels devrait fortement s'amplifier en France. Face à l’augmentation des coûts des énergies fossiles, les centres de valorisation énergétique et la récupération de l’énergie dite fatale, sur certains sites industriels, vont permettre d’amortir plus facilement les investissements nécessaires à la réalisation de ces infrastructures”, conclut Patrick Hasbroucq. Exemples à suivre.

*OMS: organisation mondiale de la santé

« Un chantier hors norme »

Pierre-Louis Descamps, responsable du suivi de la maîtrise d’ouvrage et des travaux réalisés au CVE d’Halluin

 

  • Un parti-pris gagnant :

« Véritable défi, la conception et la construction de l’autoroute de la chaleur de la Métropole européenne de Lille a cumulé difficultés techniques, administratives et sanitaires. Pour remporter l’appel d’offres, Veolia a fait un choix structurant : positionner le réseau de chaleur en milieu urbain. Ce parti-pris impliquait deux obstacles majeurs : la circulation automobile sur les boulevards reliant Lille à Roubaix, et la densité des réseaux souterrains en place (électricité, gaz, fibre, etc.). » 

  • Une phase préparatoire de 18 mois :

« L’étude du réseau de chaleur et son dimensionnement, l’audit des réseaux existants, des conditions financières… a duré plus de six mois, de mi-2016 à février 2017. Le dossier d’autorisations administratives, lui, s’est étiré sur plus de huit mois, compte tenu des nouvelles règles liées aux études d’impact et aux enquêtes publiques. Avant même de donner le premier coup de pioche, 18 mois se sont écoulés. » 

  • 27 mois de chantier :

« En juillet 2018, la phase de réalisation a été lancée. Elle va durer 27 mois au total. Le temps de traverser dix communes (Halluin, Roncq, Neuville-en-Ferrain, Tourcoing, Mouvaux, Roubaix, Wasquehal, Marcq-en-Barœul, La Madeleine, Lille - chacune devant éditer son propre arrêté de circulation), et de creuser les deux tranchées (2,5 m de large sur 2,5 m de profondeur en moyenne) permettant de loger les deux canalisations, aller et retour, de transport de la chaleur, d’un diamètre de 67 cm chacune, isolation en polyuréthane dense comprise. A Roncq, le chantier a même dû contourner la ville et enjamber l’autoroute A22, ce qui a modifié le tracé sur 600 m et engendré un délai supplémentaire de 8 à 10 mois. » 

  • L’impact de la crise sanitaire :

« Ce chantier exceptionnel a nécessité un fort esprit d’équipe. Compte tenu des décalages de planning, un pic d’activité a été atteint avec 9 chantiers gérés en simultané, impliquant 110 intervenants. Soit près de 4 km de tranchées… L’Autoroute de la chaleur a même subi les affres de la pandémie de Covid-19, figeant les travaux pendant six semaines à partir du 16 mars 2020… Au final, le réseau de transport de chaleur vers Lille a été mis en service le 8 février dernier. Une première emblématique pour Veolia, et qui peut inspirer de nombreux territoires. »

Chiffres clés 

  • 270 GWh d’énergie thermique produite par an, soit 35 000 équivalents-logements desservis en chaleur
  • 91 GWh d’énergie électrique produite par an, soit 20 000 logements fournis en électricité
  • Taux d’énergie renouvelable supérieur à 65%
  • 50 000 tonnes de CO2 évitées
  • 5 millions d’euros d’économies d’énergies fossiles par an  
  • 7 000 m3 d’eau chaude sous pression dans le réseau
  • 20 km de tracé
  • 27 mois de chantier
  • 19 265 m de tranchées
  • 38 530 m de tuyauterie 
  • 15 000 m de soudures
  • 35 000 m2 d’enrobés
  • 85 000 m3 de terre excavés dont 30 000 évacués
  • 26 000 jours hommes
  • 29 chantiers, jusqu’à 9 et 110 personnes en simultané
  • 450 réunions de chantier
  • 150 visites de chantier